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La Révolution Industrielle

La révolution industrielle est le processus historique du XIXe siècle qui fait basculer une société à dominante agraire et artisanale vers une société commerciale et industrielle. Ainsi, cette transformation, tirée par le boom ferroviaire des années 1840, affecte profondément l’agriculture, l’économie, le droit, la politique, la société et l’environnement.

L’idée se fait jour sous la plume de l’économiste français Adolphe Blanqui dans son Essai sur les progrès de la civilisation industrielle de 1828, dans son Histoire de l’économie politique de 1837 et dans son Cours d’économie industrielle de 1838. La première occurrence connue de l’expression littérale révolution industrielle en français serait dans De l’industrie en Belgique de Natalis Briavoine en 1839. Elle apparaît en allemand en 1845 dans La situation de la classe laborieuse en Angleterre de Friedrich Engels5. Vulgarisée en Angleterre au XXe siècle par l’historien Arnold Toynbee6, elle fait partie depuis du vocabulaire usuel.

Certains historiens contestent la validité scientifique de cette expression. Pour Werner Sombart (Le Capitalisme moderne, 1902), la « révolution industrielle » est un phénomène ancien, qui commence en fait à Florence au XIVe siècle avec l’émergence de la civilisation bourgeoise. Fernand Braudel fait observer que le caractère brutal qu’implique le terme de « révolution industrielle » ne peut a priori s’appliquer qu’au Royaume-Uni. Pour les autres pays, le terme d’industrialisation qualifie mieux un processus en réalité assez progressif. Patrick Verley insiste sur la continuité du phénomène, le moteur de la croissance de l’industrie, à la fin du XVIIe siècle, résidant d’abord dans le dynamisme de la demande de biens de consommation, qui stimule en retour le progrès technique.

Les mutations dans le domaine agricole

La « révolution industrielle » est le passage d’une économie fondée traditionnellement sur l’agriculture à une économie reposant sur la production mécanisée à grande échelle de biens manufacturés dans des entreprises.

Les « révolutions industrielles » (au pluriel) désignent les différentes vagues d’industrialisation qui se succèdent dans les différents pays à l’époque moderne, car la révolution industrielle émerge en réalité de façon décalée dans le temps et dans l’espace selon les pays.

Les premiers espaces à s’être industrialisés sont la Grande-Bretagne à la fin du XVIIIe siècle, puis la Belgique, le Nord de la France et la Suisse au début du XIXe siècle : ce sont les pays de la première vague. L’Allemagne et les États-Unis s’industrialisent à partir du milieu du XIXe siècle, le Japon à partir de 1868 (le début de l’ère Meiji qui correspond à la date d’accession au pouvoir de l’empereur Mutsuhito (1867-1912)), puis la Russie à la fin du XIXe siècle : ils forment les pays de la deuxième vague.

Les transformations économiques, politiques et sociales sont telles que certains, comme Max Pietsch8 et David Landes9, veulent y voir une rupture avec le passé. D’autres pointent plutôt la convergence d’éléments que le contexte historique favorise et diffuse au XIXe siècle. Karl Polanyi, dans La Grande Transformation (1944), expose notamment l’idée d’un siècle marqué par :

Un équilibre politique international : absence de grandes guerres entre 1815 et 1914 ;
Un équilibre monétaire : système de l’étalon-or et absence d’inflation ;
Un équilibre économique : acceptation de l’économie de marché.

Sans méconnaître l’impact colossal des transformations portées par la révolution industrielle, (voir par exemple l’expression « Rerum novarum » employée par le pape Léon XIII dans son encyclique homonyme : un ensemble de « choses nouvelles » forment un mouvement économique et social inédit et déconcertant qui pose la question sociale), certains éléments assurent une certaine continuité entre les périodes pré-industrielles et industrielles. Walt Whitman Rostow est l’un des premiers à en rendre compte. Franklin Mendels parle d’une situation de « proto-industrialisation » dans de nombreuses régions d’Europe et Pierre Léon note l’existence de « nébuleuses industrielles » antérieures au XIXe siècle. De même, Bernard Rosier et Pierre Dockès montrent que l’avènement du factory system fait suite à l’expérience antérieure du manufactory system et Alexander Gerschenkron note que la révolution industrielle est surtout le résultat d’obstacles économiques, politiques et sociaux qu’opposaient les sociétés traditionnelles et surmontés par chaque État. Enfin, Fernand Braudel note : « Il n’y a jamais entre passé — même lointain — et présent de discontinuité absolue, ou si l’on préfère de non-contamination. Les expériences du passé ne cessent de se prolonger dans la vie présente. » Ainsi, de nombreux auteurs situent le début de la révolution industrielle au Moyen Âge (qui a déjà révolutionné le monde du travail par le renouvellement des sources d’énergie, hydraulique et éolienne, et par l’invention technologique) ou au début de la Renaissance. Paul Mantoux parle de l’existence d’un capitalisme industriel dès le milieu du XVIe siècle, mais la révolution industrielle en soi date, selon lui, du XVIIIe siècle.

Avant la révolution industrielle

De la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle, la société est largement seigneuriale et presque exclusivement agricole. À l’exception de certaines régions, comme les Flandres, l’agriculture est encore peu productive et marquée par l’archaïsme féodal. La pratique de l’assolement triennal reste la règle et les champs sont exploités de façon collective, l’absence de clôtures permettant le mouvement du bétail d’un terrain à l’autre. L’Europe connaît plusieurs phases de croissance démographique et de prospérité économique qui sont toujours entrecoupées par des crises profondes : épidémies, guerres et disettes. La mortalité infantile est élevée, l’alimentation est essentiellement à base de céréales17. L’hygiène reste désastreuse : les carences sont attestées par des déformations et autres marqueurs d’innombrables maladies relevés sur les squelettes de l’époque.

Toutefois, les premières corporations productivistes apparaissent dès la Renaissance en Hollande et dans le Nord de l’Italie. Les techniques enregistrent d’importants progrès : navigation, imprimerie, horlogerie, extraction minière et méthodes bancaires. Les foires qui se développent dans certaines régions d’Europe attestent de l’existence d’échanges se situant dans une économie de marché plus élargie. Ces volumes demeurent cependant modestes dans le total des échanges pratiqués par les populations.

L’usine, au sens moderne, est inexistante. Les manufactures établies par le pouvoir royal, en France notamment (comme à Villeneuvette), restent une activité d’exception. Cependant, certaines formes d’organisations basées sur une sous-traitance à domicile (putting-out system) — comme l’établissage dans l’industrie horlogère — annoncent la révolution industrielle ; les marchands commencent à fournir les paysans en matières premières, parfois en outils, en vue de récupérer ensuite un produit transformé qu’ils revendront en ville. Les paysans en tirent un complément de revenu. Ce mode de vie n’est donc plus tout à fait le servage mais n’est pas encore le salariat. C’est un mélange inédit d’agriculture et d’artisanat : l’économie moderne est en germe. Ainsi, l’avènement des indiennes de coton dont la fabrication implique la mise en œuvre de processus techniques complexes provoquent le développement d’une proto-industrie dans plusieurs régions d’Europe au XVIIIe siècle.

D’après les calculs d’Angus Maddison, l’Europe occidentale connaît, de 1500 à 1800, une croissance démographique de 0,14 %, soit un taux faible mais déjà supérieur à celui des autres régions du monde (0,02 %). C’est donc dès le XVIIIe siècle que l’Europe commence à creuser l’écart économique avec le reste du monde. Cette avance reste limitée18 et si l’Europe occidentale n’est pas plus riche que le reste du monde, elle commence déjà à le dominer : les grandes compagnies de commerce profitent du renouveau des techniques maritimes, pour rivaliser, prendre le contrôle des mers et des comptoirs d’escale ou d’approvisionnement. Ce commerce au long cours s’intéresse à l’origine surtout aux produits de luxe : activité très risquée mais qui procure à ceux qui y investissent des profits considérables19. L’idée d’investissement de rapport se diffuse d’abord chez les financiers qui se lancent dans le négoce, puis chez des négociants qui réussissent à s’autofinancer (sans s’endetter) ou à trouver les moyens de se financer : création et développement des banques, des bourses et des associations de « capitalistes » dans les pays du Nord de l’Europe.

Contexte favorable, résultat d’une longue évolution

Il est de coutume de voir un lien entre la réforme protestante au XVIe siècle et la révolution industrielle depuis la parution de L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme de Max Weber en 1905. Selon ce sociologue allemand, le protestantisme porte en lui les germes de ce qui constitue un « terreau » de valeurs qui révolutionnent la conception du travail et de la vie : le travail n’a pas à être considéré comme le châtiment expiatoire du péché originel comme le rapporterait l’éthique catholique. Ce serait au contraire une valeur fondamentale au travers de laquelle chacun s’efforce de se rapprocher de Dieu20. Selon Max Weber, le capitalisme est un état d’esprit caractérisé entre autres par la subordination de l’émotion et de la coutume à la raison instrumentale (un terme de philosophie allemande désignant l’usage de la raison pour déterminer le meilleur moyen d’atteindre un but : le mot français est « rationalité ») et cet état d’esprit aurait été créé par le calvinisme intransigeant apparu en Angleterre et aux Pays-Bas au XVIIe siècle enseignant le rejet des plaisirs superficiels tels que le jeu et le théâtre pour se concentrer sur le travail, tandis que le dogme de la prédestination aurait encouragé à rechercher des signes terrestres de son élection par Dieu. Enfin, l’Église catholique a condamné l’usure jusqu’en 1830 alors que Jean Calvin l’a autorisé rendant le protestantisme compatible avec le libéralisme et la spéculation.

On peut douter de cette théorie. Cette analyse est en contradiction avec le dogme fondamental du protestantisme, la sola gratia, selon lequel Dieu accorde sa grâce sans considération des actes. Ce dogme a été condamné par l’Église catholique en promouvant la valeur des actes humains. Calvin a levé l’interdit de l’usure, mais n’a jamais affirmé que l’accumulation de richesses matérielles était un signe de l’élection divine. Surtout, les débuts de l’émergence du capitalisme sont antérieurs de plusieurs siècles à celle du protestantisme (voir l’article Histoire du capitalisme) ; il est vrai que Weber n’avait pas à sa disposition les études d’historiens postérieurs (le Belge Raymond de Roover (en) ou les Britanniques Edwin S. Hunt et James M. Murray ou encore le Français Fernand Braudel).

L’évolution des idées durant l’époque moderne est marquée par la dimension prise par la bourgeoisie au sein de la société. Il est notable que l’expansion économique précoce se fait souvent dans un contexte politique déjà en partie affranchi du féodalisme. Venise, en Italie du Nord, est dominée par les marchands et les Provinces-Unies ainsi que l’Angleterre se sont dotées d’un régime parlementaire.

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